En attendant Godot...




Une nouvelle qui va en réjouir plus d’un, le Ministère de la Santé indien annonce l’ouverture prochaine des e-visas...médicaux. En plus d’être devenue la pharmacie du monde, l’Inde est aussi numéro 1 du tourisme médical. J’ai un peu de mal avec l’association des deux mots, même si je reconnais qu’ici on peut faire l’expérience du meilleur comme du pire en termes de soin. Je suis toujours véhémente sur la nécessité de ne pas être malade en Inde, ni d’avoir un accident pour éviter tout séjour à l'hôpital. L’expérience hospitalière est certainement le paroxysme de l’interculturel dans le sous-continent indien. Néanmoins, je suis suivie ici par le meilleur dentiste que je n’ai jamais connu et le souvenir de la cure ayurvédique dans le Kerala reste pour moi comme une grande expérience de santé. Sur ce sujet comme pour tant d'autres en Inde, nous sommes bien en terre de contrastes.
Après un séjour solitaire de quelques jours à l’hôpital, ma mère est rentrée chez elle. Pour d’autres raisons finalement pas très éloignées sur certains aspects, l’hôpital n’est pas très fréquentable en France non plus.
 
Ce matin, impossible de sortir de la maison, plus de trente centimètres d’eau au 66 Papamail Koil Street. Digne d’un jour de fête nationale, tous sont au balcon, dans une allégresse des jours de mousson. Les fameuses nappes phréatiques devront attendre que l’eau s’écoule jusqu’à elles, le bétonnage des villes étant à la source de ces inondations aussi soudaines qu’ intempestives. L’élégance est de mise même dans l’adversité, le vendeur de lait est impassible sur son scooter. Il se fraye un chemin avec son deux-roues que j’imagine amphibie pour la circonstance. Les grands parapluies multicolores se déploient pour secourir les uns et les autres face à la violence d’une pluie qui n'épargne pas les constructions souvent précaires. Regarder la pluie tomber oblige aussi à constater que le plastique n’est pas mort. Le flux violent de l’eau charrie encore bien de ces déchets dont nous peinons à comprendre qu’ils empoisonnent sérieusement notre Terre mère. 
Ici, je n’ai jamais connu une goutte de pluie en février, alarme répétée d’un climat dérangé ?
 
Ce matin, je n’aurai pas, comme chaque jour, dépassé sur la TVS rouge cette jeune fille aux si longs cheveux qui flottent jusque sur ses genoux dans un mouvement élégant et gracile. Les cheveux sont tellement importants ici. Objets de soins attentifs, ils ont une signification particulière. La tresse, le roman de Laetitia Colombani, en parle si bien à travers les parcours de Smita, Giulia et Sarah. Selvi, fidèle de l'équipe des Senteurs, quant à elle, est arrivée un matin le crâne rasé, dévoilant son fier et beau visage rempli de gratitude par l’offrande qu’elle venait de faire aux Dieux. Le don des cheveux, don suprême dans l'hindouisme, et largement monnayé par ailleurs, est signe de sacrifice ou de gratitude.
 
Après plus de quatre ans, la célèbre lieutenant-gouverneur de Pondichéry, Kiran Bedi, vient de quitter le Raj Nivas, sa résidence officielle, assiégée depuis plus de 40 jours dans le cadre d’un imbroglio politique récurrent depuis des années entre le Congrès et le BJP, parti du Premier Ministre Modi. Elle part dans un paroxysme de popularité et de conflits. L’obligation du port du casque sur les deux-roues étant un sujet emblématique du conflit entre le Chief Minister des territoires de l’union et Kiran Bedi, première femme officier de la police indienne (IPS). Ses mots de départ soulignent une administration parfaite et sans corruption financière durant son mandat, sûrement un message... Une femme, tamoule, Tamilisai Soundararajan, l’a remplacée. Sa nomination permet de souligner les éternelles antinomies entre le nord et le sud. La langue de la nouvelle gouverneure, le Tamoul, est louée par la presse. Dans le paradoxe des dissensions entre l’Inde du Nord et l’Inde du Sud, la question des langues est bien ancrée -la suprématie de l'Hindi comme langue nationale face à la résistance du sud et de la langue Tamoule-. Malgré cette réalité, l’Inde est unie envers et contre tout. Je suis toujours fascinée par ce pays qui est à la fois si identitaire et où certains pans de la société ne se rejoignent pas.
 
Mes élèves me rappellent que dimanche était le jour de la langue maternelle. Dans ce pays qui en compte plus de 860, 22 étant reconnues comme langues régionales, le sujet est d’importance. Nous travaillons sur cette question et plus particulièrement sur des auteurs qui écrivent dans une autre langue que leur langue maternelle. Samuel Beckett s’invite dans notre cours : Godot sera notre héros. Nous l’avions interprété sur la terrasse du 66 Papamail Koil Street au plus fort des jours de confinement de l’année dernière avec Bhawna en attendant de pouvoir rentrer au pays.
 
En France, tous attendent la fin d’un couvre-feu qui n’arrive pas. Les artistes sont plein de créativité et d’inquiétude aussi. Ici, tout redevient presque normal, pourtant il semble que l’on attende quelque chose aussi.
 
L'Espoir, un nouveau parfum à été  créé pour célébrer le jour de Darshan. Dimanche, 21 février, anniversaire de la Mère, les fleurs du jour étaient des glaïeuls blancs.
 
Ils signifient "réceptivité".



Commentaires

  1. Merci Isabelle pour ces beaux textes qui nourrissentvmon coeur ! L Inde me manque, Pondichery me lanque, Auroville me manque... c est la oremiere fois depuis 12ans que je ne viendrais pas. . pourtant, ici à la Reunion oú j ai posé mes valises la vie est douce, riche de belles rencontres pour moi, je m y sens pleinement heureuse et satisfaite de tout ce que j y vis... mais l Inde me manque. Ah cette Inde qui nous prends par le coeur et nous ensorcelle...!
    Merci donc pour tes textes si vivant que je peux oresque humer les odeurs, entendre les bruits de la vie Indienne.. ils me ramenent joyeusement vers la bas le temps d une lecture un peu nostalgique...
    Contraste, paradoxe, extremes fracassantes.. . L inde coule en moi..
    Merci 🙏

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