Le loup est mort ce soir...


Le loup est mort ce soir…”et les hommes tranquilles s’endorment. Tout est sage, dans le village, plus de rage, plus de carnage…”

 

La nouvelle est tombée dans le journal, le loup a été abattu par un tir de défense autorisé par l'État en tant qu'espèce protégée. Quel paradoxe ! Me vient la chanson si célèbre à travers les continents qui, bien que dans sa version connue parle du lion, renvoie à ce sujet vieux comme le monde de notre rapport au sauvage. 

 

La nuit semble le terrain de jeu favori de cette faune innombrable en Bourgogne, les bruits en tous genres attestent d'une intense vie nocturne. Lorsque je m'arrête sur la route le soir en voiture pour laisser traverser les petites boules qui se déplacent si dangereusement et lentement, cette attention particulière me donne à savourer la soirée passée à jouer au scrabble avec ma mère que je viens de quitter. Le hérisson est censé hiberner dès septembre. L'été indien qui perdure doit sans doute retarder sa prise de quartiers d’hiver. 

 

Pourtant, l’hiver approche et la rentrée des classes aussi dans mon université à Pondichéry, où je suis censée reprendre les cours fin décembre, sans savoir encore si le gouvernement autorise la reprise des cours en présentiel. Les élèves sont à la maison depuis le mois de mars en Inde. A l'école de l'Ashram, il est l’heure de préparer la nouvelle année scolaire. Je reçois un questionnaire, qui me demande si je souhaite enseigner par skype, zoom, whatsapp… ma réponse est en présentiel, bien sûr. Pour l’instant, il n’y a pas de case pour cette réponse.

 

Dois-je aussi changer le contenu de mes cours ? Écrire semble bien être un exercice essentiel en ces temps particuliers, un barrage contre le vent du complotisme qui prend en otage certains de mes amis, même ceux qui d’habitude font haro sur les réseaux sociaux.

 

Au-delà du complotisme, je rêve d’un monde où l'on n’oppose pas, ne stigmatise pas. Oui, les livres sont essentiels : lire, se documenter, s'imprégner, comprendre, se faire une opinion et être capable de l’exprimer. À la question de l’intitulé de mon cours, je réponds “écriture créative”, terme moins connu en français qu’en anglais (creative writing) avec une mention spéciale : À la découverte des auteurs contemporains. Et bien sûr, je pense à Kamel Daoud, qui a enchanté nos cours avec Sanhita, illuminé notre jubilation pour les mots. Je rends un hommage spécial à cet auteur, mon inspirateur pour l'écriture de ces chroniques. 

 

Révoltée, je le suis quand ma cousine préférée me raconte que sa vieille tante est partie après un mois de solitudes à l'hôpital. Un généreux médecin semble avoir enfreint la loi, ou pris une initiative personnelle, pour que ses enfants puissent dire un dernier adieu à leur mère : merci, a-t-elle dit avant son dernier souffle, chacun a pu après un mois d’isolement retrouver un peu d’humanité. J’ai du mal à accepter ce que nous vivons aujourd’hui dans ce monde-là, que n’avons-nous pas compris, que devons-nous apprendre ?  

 

Que l'on ne se méprenne pas, je ne m’insurge pas contre le politique, je pense au système de santé français, l'un des meilleurs au monde dit-on, la manière dont il n'est pas toujours reconnu comme tel ici. Je pense aussi à mon pays d'adoption. On ne peut pas dire qu'en Inde l'accès à la santé soit l'apanage de tous, la maladie touche inégalement selon les capacités financières pour se soigner, le niveau d'éducation, le soutien familial… Là-bas, point de carte Vitale, le fameux sésame français. 

 

Et avec cela la mort est semble-t-il plus acceptée, plus acceptable. 

 

La réincarnation offre un rapport à la mort tellement différent. Ici, on vit, on meurt, alors il ne faut pas se louper et notre époque matérialiste peut nous donner l’illusion que nous sommes tout puissants, même devant la mort…

 

Je me suis toujours sentie touchée par cette impermanence indienne, cette terre où l'on vit, on meurt, et où tout recommence. Comme le cycle des saisons qu’il est si bon d’observer ici dans l’attente du retour. 

 

L'été indien n'en finit pas, il est encore temps de planter au verger un pêcher de vigne. Ces succulentes pêches tardives de l'été sont peut être le fruit le plus proche, dans son goût, sa texture, des savoureux fruits exotiques que je retrouverai bientôt…

 

Il a gelé blanc cette nuit.

 


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