Pérégrinations estivales 1#


Le temps des cerises est bien celui du gai rossignol et du  merle moqueur. La quarantaine devenue quinzaine à l'orée du bois m'offre une joyeuse cacophonie presque nuit et jour. De quoi rivaliser avec les bruyantes et interminables joutes canines des rues de Pondicherry.

 

Me voici installée dans une petite maison dans la prairie, maison forestière pour être plus précise. Arrivée le jour de la troisième phase de déconfinement officiel en France et de reconfinement en Inde, je savoure ce havre de paix qui me permet de me remettre tranquillement d'un voyage épique. 

 

36 heures pour revenir aux sources, une transition qui plus que d'habitude me met face aux changements de notre petite planète.

Tous les lieux si grouillants dans le monde d'avant sont devenus presque surréalistes.

La route de l'aéroport de Bangalore déserte, l'aérogare de la Silicon Valley indienne où seul le drapeau indien flottant au vent nous rappelait où nous étions, l'avion rempli de visages masqués, Roissy vide, le RER à l'image des TER un jour de semaine, tout s'ingénie à me bousculer dans ce retour et force les contrastes avec l'endroit d'où je viens.

 

Pour Samarpan, le frère d'un de mes élèves, c'est l'aventure dans l'autre sens. Après une année en France  comme assistant de langue anglaise dans deux lycées à Bolbec en Normandie , dont les derniers mois ont été perturbés, il rentre enfin chez lui au moment où les mesures de confinement repartent de plus belle en Inde. Il est actuellement bloqué à Chennai. Sept jours de quarantaine après test de dépistage et le choix entre 3 options. 

La première consiste à dormir dans des salles de cours des universités, avec des lits tous les 3 mètres, séparés de film plastique mais avec des sanitaires communs...si si, nous ne sommes pas à un paradoxe près ! C’est gratuit.

Deuxième option, isolement dans un hôtel modeste à 1500 roupies par nuit tout compris mais complet, et enfin troisième option, hôtel à 2500 roupies.

À cela s’ajoute les difficultés pour rejoindre sa famille à Pondy. Samarpan vient d'obtenir un e pass pour rentrer enfin à la maison, il devra effectuer une autre quarantaine, deux semaines supplémentaires.

 

Quant à moi, tant de paperasses soigneusement remplies pour essayer de répondre aux règles du retour au pays n'ont servi à rien. Je suis sortie de l'aéroport sans avoir laissé ni papiers ni adresse. 

Du fond de ma campagne bourguignonne, je ne risque pas, dans ces conditions, d'être tracée. Je fais ma quarantaine scrupuleusement et suis pleine de gratitude d’avoir pu rentrer avant la reprise des mesures de confinement et l'augmentation inquiétante du virus chaque jour au pays de Gandhi.

 

La chair pulpeuse et sucrée des mangues est remplacée par celle plus fine et acidulée des cerises, les cerisiers croulent sous une abondance peu commune dans les vergers rencontrés au hasard de mes balades.

C'est une année à cerises.

 

La fraîcheur de l'été encore timide m'offre une énergie oubliée, le soleil supportable sous cette latitude me permet de me nourrir de l'azur du ciel et de la beauté des ciels picturaux sous l'influence des caprices de l'orage.

 

Les mouches envahissent ma petite maisonnette, pas de répit,  moins piquantes que les moustiques, mais tout aussi dérangeantes.

 

Tout paraît plus calme, ou bien c'est moi. J'ai été surprise de la bienveillance des garçons de café Aux Cadrans Gare de Lyon, et de celle des client.e.s aussi. 

J'observe un ralentissement, l'absence de projection incessante dans l'avenir donne une épaisseur au moment présent. Cela me ravit.

 

Les lézards se faufilent sous les pierres au soleil de l'été qui commence, leur similitude avec les geckos résonne comme un air du pays.

 

Il est finalement possible de se sentir bien et chez soi dans deux endroits si différents. L'arrivée et les départs ne sont pas les meilleurs moments pour moi. Après les difficiles transitions au cours de ces dix dernières années liées aux allers-retours entre l’Inde et la France, je retrouve enfin la douceur de me poser. La nature généreuse de ce début d'été y contribue largement. Le chèvrefeuille m'apaise.

 

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