Chronique Indienne 9#


Lassitude ou signe de confinement prolongé, avec "des assouplissements possibles afin de faciliter les activités économiques", selon le communiqué officiel, le toit terrasse de mon immeuble est devenu désert.

Le petit Aum, qui n'a pourtant pas repris l'école, ne court plus entres les locataires qui s'emboitaient le pas avec rigueur et méthode, la convivialité créée par ce rituel devenu journalier, s'est évaporée.
Mes leçons, à la volée, de quelques mots de bengali, hindi ou tamoul ne sont plus d'actualité.

Avec l'air si lourd ce soir, le vent absent, seul le vol joyeux et coloré d'un kingfisher turquoise, le martin-pêcheur local, rehausse le ciel sans couleurs. Même les corbeaux ont déserté le toit de Papamailkoilstreet.

C'est curieux comment cette situation finalement rapproche les cultures.
Ici et comme ailleurs, il faut du temps pour intégrer les consignes et un rien de temps pour les oublier avant l'heure. Il y a déjà moins de visages masqués, les distances ne sont parfois plus que des signes au sol qui s'effacent déjà.

Le confinement semblait déjà terminé avant la date officielle prévue le 17 mai. Il est finalement prolongé de deux semaines. Il paraît sans fin.

Dimanche dernier, du haut de ma terrasse, quelle ne fût pas ma surprise de découvrir un "Rungis de la mer", le froid en moins, tout au long de ma rue.
Les étals de nourritures se déplacent dans la ville, certainement à la recherche du client et aussi pour faciliter l'écoulement de marchandises trouvant moins de chalands.
L'interruption initiale des transports entre les états et en particulier avec le Tamil Nadu tout proche a rendu rares certains produits et crée des difficultés d'écoulement pour d'autres.
Le petit commerce si présent en Inde, et réactif quand il s'agit de contester l'implantation des géants de la distribution étrangère par des grèves totalement suivies, a pu paraître vulnérable dans un premier temps. C'est sans compter sur son dynamisme et sa capacité d'adaptation.

Ce n'est pas la même histoire pour le commerce d'alcool toujours interdit à ce jour et révélant un imbroglio politico-économique bien au-delà du seul manque que vivent les populations modestes, abreuvées au très fortement alcoolisé « Arrack », boisson locale.
Le commerce d'alcool est toujours un sujet de conflits entre le gouvernement central et celui des états fédérés, la vente d'alcool étant très grande pourvoyeuse de moyens avec des taxes qui pourraient sembler prohibitives.
J'ai souvent entendu les témoignages de violences villageoises causées par une consommation abusive, des revenus épuisés par l'achat de breuvages, cela le plus souvent subie par les femmes.

Il y a aussi en Inde de très bons vins, provenant de cépages savamment sélectionnés, mais aucun lieu n'est encore rouvert pour les déguster dans un accord avec les mets de la si diversifiée cuisine indienne.

Mon amie Bhawna oscille entre espoir et désespoir, nul train ni avion ne se profilent dans les jours à venir, il semble qu'elle va devoir attendre la prochaine date de déconfinement, annoncée pour le premier juin, pour retrouver son nord natal.
Dans sa tristesse de ne pouvoir retrouver les siens, elle a le sentiment d'être aussi immobilisée que moi.

Les vols internationaux reprendront aussi un jour, peut-être en juin.
Partir sera finalement possible, mais revenir une autre histoire.

Les grands arbres de la ville blanche se parent de magnifiques grappes de fleurs d'un jaune lumineux, elles sont nommées Imagination.

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