Chronique Indienne 8#

La joie de la pluie qui tombe, si inattendue, en cette période de l'année, est assombrie par la couleur du ciel, soudainement devenue laiteuse et la promesse d'une humidité saturant l'air  pour les heures et jours à venir.

Cela remplira aussi l'abreuvoir aux corbeaux sur la terrasse, désertée par la famille cashmeri au petit matin la semaine dernière. Le vieux patriarche m'a laissé la consigne d'abreuver les oiseaux noirs, qui ont une image bien moins maléfique qu'en Europe, en m'annonçant non pas qu'il rentrait au pays, mais qu'il allait retrouver son business.
Les affaires doivent reprendre dit-il. Je ne découvrirai que le lendemain, à 5h du matin, comment la famille reprend la route dans une Innova, voiture préférée de mes road trips indiens. Le fils au volant, bagages et famille entassés et autorisation dûment collée sur le coffre de la dite voiture.
Avec adieux, pincements au cœur pour moi de cette belle rencontre presque silencieuse, je reçois l'invitation de les retrouver au craft bazar - presque tous les magasins cashmeri s'appellent comme cela : si vous passez par Kumuli au Kerala, transmettez-leur mon meilleur souvenir. 

Bref, malgré la pluie, cela ne s'arrange pas au niveau température, d'autant plus qu'il s'agit d'un jour de "power cut", un de ces quelques jours dans l'année, de moins en moins nombreux, il est vrai, où des quartiers entiers sont privés du fameux sésame, vous me suivez, qui alimente notamment la vénérée climatisation.
Quelques heures pour la maintenance, soi-disant, des heures interminables, vous imaginez bien.

Alors, de quoi se réjouir ?
Tout semble si confus, le confinement annoncé jusqu'au lundi 17 laisse pourtant des airs de déconfinement avancé avec notamment la tenue du très populaire "Sunday Market" dimanche dernier. Un rendez-vous hebdomadaire très prisé des Pondicherriens qui pourrait laisser penser que tout est comme "avant".

Ce qui est sûr, c'est que tout est comme avant pour les taux d'intérêts : 3% pour 15 jours, me raconte-t-on ici .Je dois appeler ma mère, la reine de la règle de trois, pour me rendre à l'évidence : le taux d'intérêt qui dépasse l'entendement est à 72% de taux annuel.
Oui, oui, vous avez bien lu...
Dans un pays où l'on peut dire que l'épargne est très faible ou n'existe pas pour les revenus modestes, les conséquences du confinement sont terribles. Des situations dramatiques devant l'impossibilité de rembourser des sommes devenues exorbitantes en quelques semaines, où la violence est souvent au bout du chemin, générée par une inimaginable pression d'usuriers sans foi ni loi.

La bonne nouvelle, c'est la réouverture des échoppes de street-food : même si les souvenirs de ces délicieux mets réveillent les papilles, le cœur n'est pas vraiment à la fête.

Pourtant, soutenir ces nombreux petits métiers précaires semble aussi nécessaire que de porter masques et de respecter les autres gestes barrières comme on dit maintenant.

La ville se colore à nouveau, les femmes ont investi d'autres recoins de la ville pour négocier la pêche du jour. Le Marché Goubert étant toujours fermé, et les étals de mangues fleurissent à chaque coin de rue.

La pluie a réveillé la nature poussiéreuse, coloré le ciel de lumineuses tonalités orangées et rouges ce soir au coucher du soleil.
Au loin, les brumes de l'industrielle Pondy couvrent l'horizon de jour en jour de ses fumées grisâtres avec la réouverture progressive des usines.

Le réveil a commencé, bien que pas encore officiel. Il serait tentant de penser que tout sera comme avant, si je regarde Mission Street d'un œil rapide, comme ce matin sur ma TVS rouge, alors que nous savons bien que pour chacun , dans nos découvertes et vicissitudes de ces deux derniers mois, il y a autre chose à regarder.

La marchande de jasmin a toujours son sourire édenté lumineux au bord du canal. Le délicat parfum de la fleur du renouveau, "chaque jour est un nouveau jour", est plus que jamais d'actualité.